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{CARROUGE} et carrefour
Historique des termes Carrouge et Carrefour
Le français carrefour trouve son étymologie dans le latin : "Du bas lat. quadrifurcus, littéralement « qui a quatre fourches » . Postérieurement substantivé au sens de « lieu où se croisent quatre chemins » (source : internet).
Le terme carrouge a une histoire similaire (quadruvium = "quatre routes", rappelons-nous du mot latin via, bien connu du grand public) ; mais cela nécessite une petite explication quant au passage du V au G.
Le V latin ne se prononçait pas comme maintenant : il se prononçait probablement comme le W anglais (Watson). Avec l'arrivée des langues germaniques, notamment le francique, une concurrence s'est établie avec le son W francique, qui était probablement "dur", se rapprochant du son GW.
D'où les transformations W<—> G classiques entre le français d'une part et le francique ou l'anglais d'autre part :
*wastil > gastel > gâteau
werra > guerre
William / Guillaume
warranty / guaranty
Le V latin subit la même évolution :
vespa > guêpe
vulpiculus > goupil
Il est probable qu'une forme phonétique [CADROUGWI] ait précédé la prononciation actuelle de Carrouge. La forme actuelle remonte au moins au 12e siècle : on relève un Quarrogio en 1161 (hameau de 76-Sainte-Geneviève-en-Bray).
Carrouge = carrefour : l'apport cartographique
Au vu du grand nombre de lieux-dits {CARROUGE} qui sont situés dans l'angle d'un carrefour, nous admettrons qu'il y a une convergence entre la liguistique et la géographie : un carrouge est bien un carrefour. Notons qu'il existe au moins deux lieux-dits en France dont le nom est Carrefour Rouge.
Voici tout d'abord quelques cas les plus parlants, pris en Saône-et-Loire, où un {CARROUGE} désigne la voie publique du carrefour lui-même :
Savigny-sur-Seille :
le Carruge de Thion est la parcelle 177, elle appartient aux habitants de Thion (donc pas exactement un statut communal, plutôt du sectional) (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 6523) :
Chapaize :
Croix du Caruge est constitué de deux parcelles communales (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 1235) :
Branges (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 6266) :
Buffières (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 6903) :
Lugny : Carrouge du Russon (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 7636) :
Cependant, la situation la plus courante concerne des {CARROUGE} qui dénominent des ensembles de parcelles situés aux angles des carrefours ; en voici quelques exemples pris parmi un très grand nombre en Saône-et-Loire :
Ballore (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 5270) :
Antully : champ du Carouge (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 8511) :
Serley (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 6787) :
Sivignon : vignes du Carge (Archives Départementales de S&L, cote 3 P 12858) :
Saint-Léger-sous-Beuvray :
Le Carouge, 71-Neuvy-Grandchamp :
On retrouve cette même signification de "carrefour" ailleurs qu'en Bourgogne, sachant que le toponyme existe surtout dans la France d'Oil, essentiellement sur une bande allant de la Normandie à Genève (ceci dit, le Puy-de-Dôme, plutôt dans le domaine d'Oc, ne possède aucun Carrouge, mais 24 "Croix-Rouge" parmi lesquels les 8 qui ont été conservés par l'IGN semblent bien être d'anciens carrefours ; cependant, il faut être prudent, car un carrefour a de tous temps été un lieu privilégié pour y ériger une croix).
Les surprises de la toponymie nous font découvrir un "chemin du carouge" à la … Martinique (la Trinité) ! Parmi plusieurs explications possibles, une serait d'admettre que le sens du mot carouge était encore compris tardivement, par exemple au 17e s. Mais une autre explication est donnée par le dictionnaire étymologique de Gilles Ménage (17e s.) : le carrouge est aussi le fruit du caroubier.
21-Marey-sur-Tille :
58-Millay :
89-Fontaines :
63-Paslière :
45-Gidy :
14-le Mesnil-Mauger :
Situation des {CARROUGE}
Les {CARROUGE}, à part celui d'Autun, sont des carrefours situés en dehors du bourg. Ils concernent soit des voies de communication importantes à l'époque, soit des chemins locaux ; mais il n'est pas impossible que ces derniers aient eu dans l'antiquité une importance que nous sous-estimons à l'heure actuelle.
Statut de propriété
J'ai repéré parfois des {CARROUGE} de statut communal ou sectional. Il n'est pas impossible qu'un {CARROUGE} ait été à la fois un carrefour et un endroit à statut collectif, ayant servi à une activité particulière : un marché ? un lieu de châtiment ? de divertissement ? Quelques sondages dans les matrices des cadastres napoléoniens montrent qu'au début du 19e siècle les {CARROUGE}, parcelles situées à côté de carrefours, étaient le plus souvent de statut privé. Mais l'histoire des communaux est complexe, et il n'est pas impossible qu'ils aient été privatisés au 18e siècle.
Les dictionnaires anciens hésitent quant au sens à donner à Carrouge :
soit ils se limitent à la notion de carrefour :
(dictionnaire de l'ancienne lange française, Godefroy)
soit ils y rajoutent la notion de fonction sociale particulière à ces carrefours :
(dictionnaire du moyen français, accessible par LexiLogos)
Dans une étude très érudite, Gaston Duchet-Suchaux nous livre nombre de fonctions particulières des carrefours : "De Quadrivium à Carrouge", article paru dans la Nouvelle revue d'onomastique / Année 1988 / 11-12 / pp. 116-120. Il y parle entre autres de fonctions juridiques, et même de prostitution.
Notons également la mention, par Gabriel Jeanton (Mémoires de la Soc. d'Histoire et d'Archéologie de Chalon, année 1940), de tombes antiques retrouvées sur le Carrouge du hameau de Boye :